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Mes 47 jours d’iPad

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Un premier bilan d’utilisation de la tablette d’Apple qui sort aujourd’hui. Un appareil qui ne ressemble à rien de connu.

L’iPad est parti sur un malentendu. Avant son lancement  en janvier, les fidèles d’Apple avaient espéré un netbook-maison, avec un design épuré et quelques fonctionnalités inédites par rapport aux gammes classiques, plutôt stylées Allemagne de l’Est. D’où une certaine déception lorsqu’ils se sont retrouvés avec un iPod Touch taille XXL. Erreur d’appréciation.

L’iPad n’a pas vocation à suppléer un ordinateur portable. Steve Jobs  est parti du principe qu’Apple occupait déjà ce segment de marché avec sa lignée de MacBook conforme aux canons-maison, c’est-à-dire sophistiquée et chère. Lui voulait quelque chose d’entièrement nouveau, en rupture avec l’informatique du passé, dont les interfaces ont maintenant plus d’un quart de siècle. Une machine qui tirerait profit d’une puissance de calcul qui a été multipliée par 300 pour un prix divisé par 2 ou 3 en monnaie constante depuis le lancement du premier Mac.

ipad slateFR

Voici donc l’iPad, construit sur le principe propre à Steve Jobs: je me fiche des études de marché; je ne demande pas au client ce qu’il veut, mais je conçois ce qui le fera rêver. Le désir, l’envie, avant la rationalité consommatrice. Le tout soutenu avec un sens du détail confinant à l’obsession où tout ce qui est accessoire a été impitoyablement éliminé. Le résultat est cette ardoise magique, recto en verre, verso en aluminium, 680 grammes, avec de l’excellent et du moyen.

La “lean-back device”

L’iPad n’est pas un laptop. C’est autre chose. Une sorte de chaînon manquant entre l’ordinateur portable et un téléphone mobile. Pour preuve, l’usage qui s’impose ne se rapproche d’aucun des deux. L’iPad se consulte adossé (position lean-back) par opposition au buste penché en avant (les trapèzes crispés) pour un ordinateur. La spécificité de l’iPad est d’être une machine de consommation des médias par opposition aux appareils de création que sont les PC, fixes ou mobiles. Cela fait toute la différence. Et aussi toute l’incertitude sur l’avenir de l’objet dont il est impossible de pronostiquer un usage dominant : consultation du web (avec un confort de lecture inégalé), lecture de livres, téléviseur perso-égoïste (avec des chaînes en streaming, la catch-up télé comme M6 Replay ou encore série à télécharger) ou encore console de jeu.

Les applications

La première chose que j’ai faite avec mon iPad a été de transférer mon compte vers l’iTunes Store américaine (il faut un compte bancaire local pour ça). C’était le seul moyen de passer la supérette au supermarché. Car dans la galaxie Apple, il y a les Etats-Unis et le reste du monde,  subdivisé en grandes zones géographiques. La France est dans l’espace EMEA (Europe,  Moyen-Orient, Afrique, soit une zone économique allant du Burundi à la Suède). Evidement, pour tous ces loqueteux, l’App Store américaine était inaccessible. A cela s’ajoutent les questions de territorialité des droits d’exploitation, la contrainte des fenêtres de diffusion qui conditionnent la distribution des oeuvres. D’où le fait qu’il vaut mieux regarder la planète Apple depuis son origine (progressivement toutefois, la boutique française s’enrichit).

Premier constat, les éditeurs d’applications ont eu le souci d’éviter les erreur de l’iPhone où les applications ont été commercialisées à bas prix. Dans l’ensemble les tarfis font un bon avec la taille de l’écran. L’iPad compte déjà 5.000 applications contre 200.000 pour l’iPhone, dont 80% sont payantes. Calculé sur l’ensemble (ce qui ne veut pas dire grand chose) le prix moyen des applications iPad reste à moins de cinq dollars, même s’il augmente d’un petit 22% entre les deux appareils. Toutefois, si l’on considère ses apps préférées qu’on avait dans son iPhone et qu’on va racheter en version cinémascope pour l’iPad, le différentiel est nettement plus important, de l’ordre de 1,5 à 2 fois plus. Fait intéressant, plus on va vers des applications à forte valeur ajoutée plus l’inflation est forte : celles pour la finance et la médecine connaissent une multiplication par quatre avec des prix moyens de 18 et 42 dollars respectivement. Ce dernier point est d’ailleurs plutôt rassurant car il laisserait supposer que des applications plus chères ouvriront la voie à une plus grande sophistication.

L’information

Légère déception là-dessus. Comme des milliers de news junkies, je me suis rué sur les applications de tous les magazines qui se sont succédées. Time a choisi la simplicité : même format, mêmes fonctionnalités… et même prix qu’en kiosque aux Etats-Unis, soit 4,99 dollars. On voit mal comment cela peut marcher, d’autant que l’abonnement papier revient à… 0,38 dollar l’exemplaire aux Etats-Unis et à peu près un dollar en France — pour un hebdomadaire qui reste gratuit sur le net. Vendre le même prix un magazine électronique, sans aucun enrichissement multimédia, alors que la version papier est quand même plus commode à lire, n’a pas de sens. Pourtant, tous les éditeurs, soucieux de “protéger le papier” selon leur crédo, sont en train d’adopter ce principe d’un prix identique sans valeur ajoutée perceptible : Time Warner, Hachette, Condé Nast proposent chacun leur magazine sur cette base. Dans le meilleur des cas (Wired par exemple), quelques vidéos sont ajoutées ; elles apportent incontestablement un plus. Pas de quoi se relever la nuit (même avec un iPad qui a l’avantage d’être rétro-éclairé).

Pour la presse, l’application absolue reste à inventer. Cela viendra. Pressés par le temps et contraints par l’obsession du secret d’Apple, les éditeurs se sont contentés de liseuses plus ou mois sophistiquées, parfois augmentées de flux d’actualité. Le Wall Street Journal mérite une mention spéciale avec une application de grande qualité dont la partie information permanente est mise en forme à la volée dans la maquette du journal. Celle-ci est encore accessible aux abonnés du WSJ.Com (100 dollars par an).

Une des applications de presse les plus attendues est celle du Guardian dont la version iPhone surpasse toutes les autres. Elle est la seule de sa catégorie à proposer une lecture contextuelle, c’est-à-dire une série de “tags” associée à chaque article permettant d’accéder à de multiples contenus sur le même sujet (au passage, c’est le meilleur moyen de garder les lecteurs sur l’application).

guardian app

Mais au Guardian, on dit ne pas être pressé. Le journal a voulu marquer son territoire avec une application qui met en valeur les extraordinaires capacités graphiques de l’iPad : Guardian Eyewitness se nourrit de  photos d’actualité plein écran comme la section Grand Format de Slate ou The Big Picture du Boston Globe (qui est la page la plus visitée du site, preuve de l’énorme demande pour les traitements visuels de l’actualité). D’une façon générale, pour tout ce qui est photographie — qui compte d’innombrables applications — l’iPad est exceptionnel.

Le basique

On arrive à la première “killer app” de l’iPad qui est tout simplement de surfer sur web avec un confort et une fluidité inégalés. Le web est lumineux sur l’iPad (sauf évidemment pour les sites comportant du Flash qui sont aveugles et sourds). Rien que ce plaisir d’une consultation du web en mode détente justifie l’investissement. (A propos, à moins de gaver sa machine de films ou de séries, dans la mesure où les logiciels sont très compacts, même la version la plus modeste à 16 Go de mémoire est suffisante ; de la même façon, on évitera la version 3G car des applis-contenus comme les magazines prennent trop de temps à charger).

La seconde application de choix de l’iPad — en tout cas du point de vue entièrement subjectif qui est celui de cet article — est le livre. Sur l’iBooks Store américaine, j’ai téléchargé plusieurs extraits de livres, acheté Dumb Money de Daniel Gross, journaliste à Slate.com, sur les excès de l’endettement aux Etats-Unis. Là encore, expérience fluide et transparente de sélection, d’achat (en un clic) et de consultation, avec des ouvrages prenant une toute autre dimension : on peut y faire des recherches par mots-clés, créer d’innombrables signets qui deviennent une table des matières personnalisée. Idéal dès lors qu’on va faire un usage documentaire des livres.

Quelques nuances pour terminer. Le système de fichiers de l’iPad, identique à celui de l’iPhone ou de l’iPod Touch est déroutant dès lorsqu’on veut gérer des documents (comme par exemple se constituer une bibliothèque de textes en PDF pour lire tranquillement) ; ce type d’usage est tellement peu envisagé dans l’environnement ultra-normé d’Apple qu’il faut prendre des logiciels tiers (comme Air Sharing HD, 7,99$, ou GoodReader, moins bien mais gratuit) pour gérer dossiers et fichiers. Il faut aussi vite oublier l’idée d’écrire des textes un peu longs sur son iPad. Comme tous les chroniqueurs, je m’y suis essayé avant de revenir bien vite clavier cliquetant de mon MacBook. Celui de l’iPad est mal fichu et peu ergonomique, sauf sans doute si l’on veut twitter ou facebooker.  Mieux vaut ne pas s’illusionner non plus sur le caractère nomade de l’appareil. Après tout, il est encore un peu lourd (les batteries pour l’essentiel), fragile, et onéreux (même si les onze heures d’autonomie vérifiée changent la vie par rapport à un laptop…). Et si l’on a un peu besoin de travailler, rien ne remplace un classique portable.

Patience. L’iPad d’aujourd’hui n’est que la première itération d’une nouvelle tendance de l’informatique, avec cette fois, des ordinateurs vraiment personnels. Les ardoises magiques prendront leur essor lorsque les prix se rapprocheront de la zone des 200 euros et que les éditeurs de contenus auront pris la pleine mesure des possibilités des machines. Dans deux ans, nous y serons.  Alors, indispensable l’iPad ? Non, certainement pas. Mais jouissif, sûrement.

frederic.filloux@slate.fr


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